"Le corps n’est pas réductible à un organisme vivant, indistinctement cause et effet de la vie qui s’exprime en lui, c’est un mandala couvert de symboles qui manifestent toute l’évolution et l’histoire du vivant, de l’humanité et de l’individu. Le corps est le réceptacle de toutes les mémoires et ces mémoires déterminent le sujet à son insu. Le corps est le palimpseste de l’inconscient : « Tout le corps est mémoire et tout le corps participe à tous les actes, toutes les pensées, tous les désirs et toutes les peurs, toutes les répulsions, à tout ce qui est su par la conscience psychique mais aussi à tout ce qui est ignoré d’elle. Il n’existe pas d’inconscient qui ne soit accessible au corps, pour peu qu’on en détecte les clivages, leurs causes et qu’on comble les failles » (p. 43). L’enseignant d’aikido, puisqu’il se propose d’émanciper les consciences, commence par être un herméneute des corps : il déchiffre à quelles blessures psychologiques sont imputables les tensions qui entravent la psychomotricité. A la différence du psychanalyste, il ne croit pas que c’est en faisant accéder l’inconscient à la conscience − c’est-à-dire dans le champ de la représentation − par les vertus de la « confession » qu’on désinhibe le corps, mais que c’est en « déchaînant », au sens propre, le corps qu’on libère l’esprit. La verbalisation des motifs inconscients d’un traumatisme ne saurait être une thérapie suffisante, car le traumatisme s’est fiché dans le corps, l’entrave et le contorsionne: « Un corps libre abrite une conscience libre. Cependant le lot commun est plutôt l’inverse : une conscience sous emprise emprisonne le corps en limitant ses possibilités de mouvement, en contraignant sa gestuelle, en créant des points de blocage sur la chaîne psychomotrice » (p. 68). La libération de l’esprit ne consiste pas seulement à émanciper le sujet de ses angoisses personnelles, mais encore de celles de l’humanité tout entière qui se sont réfugiées dans les réflexes (fuite, sidération, agressivité) : « L’expérience de l’humanité s’est inscrite dans la mémoire génétique et devant une agression, la réponse réflexe est violente. Il nous faudra donc contrôler ce réflexe, animer d’autres gènes, accumuler dans la mémoire du monde l’expérience contraire » (p. 42) ».
Christian Girard
Note sur L’Harmonie efficace – Stratégie et tactique de l’esprit, d'André Cognard